
Seul un homme qui sait ce qu’est la défaite peut plonger jusqu’au fond de son âme pour y puiser l’once supplémentaire de force qu’il lui faut pour gagner quand le match est à égalité. Je sais que George tient à son titre. Il veut la couronne, mais est-il prêt à payer le prix ? Est-ce qu’il engagerait sa vie ?
Il est temps d’y aller à fond. Pied à pied. George lance une longue gauche et je contre de la droite par-dessus. Maintenant je dois y mettre le paquet. Si le prix de la victoire est une mâchoire fracturée, un nez cassé, un crane fêlé, une face défigurée, on le paie si l’on veut être le Roi des Poids lourds. Si l’on veut porter la couronne, on peut mener prudemment son jeu mais seulement tant qu’on ne se trouve pas en face d’un homme prêt à mourir plutôt qu’à vous laisser gagner. Alors on doit tout mettre en jeu ou battre en retraite et être damné à jamais.
La foule me pousse « Ali ! Ali ! Bomaye ! Ali ! Ali ! bomaye ! »
J’entends Kid Gavilan, le vieux champion cubain aux mille combats, me dire : « Ali, la foule, les gens te pousseront comme si tu leur appartenais, comme si quelque chose en eux dépendait de ta vie ou de ta mort. Et tu t’enfonceras trop profondément pour reculer. Tu as crié : ‘’ je suis le plus joli, je suis le plus grand. Voyez comme je suis joli ! Pas une égratignure ! ‘’ Les gens rient, mais un jour ils te mettront à l’épreuve. Ils t’enverront dans l’arène pour arracher la viande de la gueule du lion et voir si tu en ressortiras aussi joli. Si tu meurs dans la tentative, ils seront navrés pour toi, mais si tu hésites, tu resteras à jamais dans la mémoire comme un type bidon. Quand on se bat pour le titre, on met tout en jeu. »
Je sais que le moment de l’épreuve est venu. Je vois George essayer de revenir. De retrouver son assurance. J’expédie un direct du droit à sa mâchoire en y mettant le punch. Toute la puissance qui est en moi. Je le frappe presque à la pointe du menton, et il ne bouge plus. […]
Je suis prêt à suivre avec des combinaisons, mais je vois qu’il s’affale lentement, une expression lointaine dans les yeux. Je sais qu’il entre dans la chambre du demi-rêve, pour la première fois de sa vie. George est au tapis, ses yeux sont vitreux. Il écoute les diapasons vibrer dans sa tête, les chauves-souris jouer du saxophone, les alligators siffler, il voit clignoter les enseignes au néon.
L’arbitre commence à compter. […]
J’observe chaque mouvement du bras de l’arbitre. Je pense encore à Frazier. Jamais il n’aurait perdu la couronne couché par terre. Aucun arbitre n’aurait pu le compter tant qu’il lui serait resté une goutte de sang les veines.
« Six … sept … huit … »
George se retourne lourdement.
« Neuf…dix ! »
George est debout, mais c’est fini. L’arbitre lève mon bras en signe de victoire.
Et le stade explose
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